Bon sang de bois

Les comptoirs qui ont ma préférence sont en bois.
Hélas, leur âme plus chaude est aussi plus éphémère.

Il me souviendra longtemps d’un établissement de la rue Fontaine, dont je continue de considérer le comptoir comme le plus confortable de Paris, fort d’une ondulation élégante qui permet, où que l’on y soit installé, au lieu d’être aligné avec son voisin, d’être tourné vers lui de trois quart, et d’embrasser le reste de la salle.

Il fut un temps où nous étions une petite armée d’ombres à le soutenir – improbable tribu d’atlantes hirsutes et de lolitas cariatides. Nous avions vu de l’obscurité, alors nous étions entrés. Et là, nous revenions presque chaque soir, pour ne parler de rien, rire et fraterniser au son peut-être païen des mêmes musiques. Tentant de lire le futur dans nos bières nous resserrions le groupe autour des tireuses mordorées, en constatant invariablement le même échec. Nous tenions ensemble, lovés dans ce jeu de mots de noir désir, hors du temps dans une nuit solsticiale. J’ai là quelques-uns de mes meilleurs souvenirs.

Mais il y a eu un futur : héliotrope, photophobe ou tiède vomis par Dieu, chacun a finalement poursuivi sa route. De loin en loin, nous sommes une poignée à revenir sur les lieux où la chaleur n’est plus que moribonde, et, nous nous retrouvons à l’occasion rue des Lombards, devant un autre bar en bois, incertains parfois de ce qui pouvait nous lier.

Demeurent, parmi les vétérans de cette quête inaboutie, quelques personnes auxquelles me lie encore une affection sincère. Avec cet espoir confié un soir à Lilienchka, que, s’il y a un paradis, s’y trouve une cave noire dotée d’un comptoir en bois. Nous y poserons nos pintes de houblon doré, et, en écoutant du rock, nous parlerons de tout et de rien, immortels car ensemble.

Publicité