Loin du continent, de son urgente agitation et de son goût de la classification et du concept, le titre évoque l’eau, l’exotisme et la rêverie ; le film ne le trahit pas qui, tout de brume et de sensualité, ne se préoccupe que du plus atemporel la condition humaine. Et qui, tout de brume et de sensualité, renonce sans pudeur à la rigueur des catégories et des nomenclatures du sentiment pour ne concéder aucune certitude autre que celle de ce renoncement.
A l’article défini du titre répond ainsi l’hésitation de ce paysage en pierre de rêve où la mer et l’air se mêlent en bancs de vapeurs où s’étiole la terre, à peine figurée par ce morceau de crique et ce débarcadère auquel les hommes parviennent comme au bout du monde. Si bien que l’on ne sait plus si l’île est figurée par cette plage, et ces roseaux à demi immergés ou par ce radeau jaune pastel à peine retenu par son ancre ; et qu’en définitive, le huis-clos s’universalise dans la nue .
Et l’indétermination n’est pas moins flagrante qu’il s’agisse des valeurs morales ou des états d’âmes – bien, mal, légal, sacré, solitude, amour, plaisir, souffrance, destin s’évanouissent également devant l’immédiateté de l’ici-bas et du besoin vital élémentaire : le sexe, l’amour, la faim… Les désirs sont indissociés dans ce conte cruel où l’homme et le poison partagent une communauté de destin, voués qu’ils sont à être happés hors du monde auquel ils appartiennent par la mutilation d’un hameçon gratuit au plus intime de leur chair. Avec pour symbole de cette similitude ontologique, une coupelle où deux hameçons, plein du sang de ces deux protagonistes égarés, ivres de solitude et de passion, s’unissent en un cœur.
De sorte que, quand s’arrête ce film, on se dit que la vie tient à ce fil de pêcheur. Et l’on attend le prochain hameçon qui nous ramènera sur l’île, avant, peut-être, de nous rejeter à l’eau, étouffés et sanguinolents.
Ki-duk Kim, The Isle, 2000.