Filez directement à la citation si vous le souhaitez. Mais je veux écrire deux mots de contexte.
Chaque année, pour mon anniversaire, mon ami T1B1, qui semble voué à osciller à jamais entre l’angoisse expressionniste et l’harmonie pythagoricienne, me fait partager certains de ses choix de lectures.
Ses préférences, quand il ne s’agit pas de théories des nombres et de fraction continues – domaines dans lesquels je ne sais guère le suivre que de très loin – vont à ce que j’appellerais une littérature de la rumination – où se révèlent à travers les phrases inépuisables de longs monologues, jamais très éloignés de K., des êtres hantés – par le passé, une faute, une malédiction,, une terreur métaphysique ; si ce n’est tout cela à la fois. On trouve ainsi sur les étagères de T1B1 – et, du coup, sur les miennes, non loin d’Adorno, Benjamin, et Rosenzweig, les litanies de Sebald, Leib Rochman, et Krasznahorkai.
J’ignore si j’ai suffisamment manifesté à T1B1 la gratitude que je lui dois pour m’amener de la sorte dans ces contrées où jamais je ne mettrais les pieds de moi-même. En m’offrant La venue d’Isaïe, je me souviens qu’il m’a dit : « je pense que ce texte est à la croisée de mes préoccupations et des tiennes ».T1B1 ne s’est pas trompé.
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De La Venue d’Isaïe, une introduction au maître-ouvrage de Lazlo Krasznahorkai, Guerre et Guerre, je suis bien en peine de savoir quelle citation retenir tant ces trente pages disent TOUT de la société contemporaine. J’ai quand même décidé de m’essayer à un choix. Le voici.
« Ils avaient tout corrompu, car dès qu’ils touchaient à quelque-chose – et ils touchaient à tout -, ils le corrompaient, et cela s’était passé jusqu’à la victoire totale (…) au cours de ce long combat ils comprirent que pour remporter une victoire inconditionnelle, il ne fallait ni détruire ni bannir tout ce qui leur était opposé, mais l’absorber et le dissoudre dans la vulgarité répugnante du monde sur lequel il régnaient, ne pas détruire ni bannir pour employer un terme archaïque, le bien et la grandeur (…) mais se les approprier (…) les revendiquer (…) »
Et plus bas ceci, : « Il suffisait de dire « bien » et « grand » pour avoir envie de vomir (…) les maîtres victorieux du monde, chaque fois que ces deux mots étaient prononcés, consolidaient un peu plus leur position, s’installaient plus solidement sur le trône du monde (…) ».
Voilà.
Bonne journée.
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Lazlo Krasznahorkai, la Venue d’Isaïe, Paris, Editions Cambourakis, 2013, 28p.
Traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly