Le nez dans le ruisseau, la faute à Rousseau…

Parmi les malentendus fondateurs des problèmes actuels, outre celui de la séparation des pouvoirs, il y a la théorie rousseauiste de la loi.


I. Que dit-elle ?

Ce que l’on en retient principalement,et que j’appellerai la doxa, c’est-à-dire :
– que la loi doit avoir un objet de portée général et exprimer une volonté générale.
– que ce qui relève de la décision individuelle doit être confié au magistrat
– qu’il est préférable que celui qui exécute la loi ne soit soit pas celui qui la fait

Et tout ce que l’on oublie plus fréquemment, dont trois hénaurmes réserves : Lire la suite

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Médiocrité du web

Dans un ouvrage publié en 2007, on trouvait pour mesurer la quantité totale du savoir de l’humanité le chiffre de 10^20 octets. Et cette prophéties de haut vol : « l’information présente sous forme de textes, d’images ou de photo sur papier », « information analogique dont la croissance est faible » devait être très « largement dominée » dans les cinq ans ; tandis qu’exploserait l’information numérique stockée sur les différents supports. Et la fameuse loi de Moore était ici invoquée comme il se doit.

Bien, je suppose donc que nous avons depuis 10 ans pulvérisé ce chiffre de 10^20 octets, mais pour quel résultat ? Comme toujours la quantité nuit à la qualité.
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De l’universalisme abstrait et de la précision conceptuelle

En soi, cela n’a rien d’un méfait. Et pourtant, c’en emporte tous les effets. Je parle d’un passage du livre premier de la République, et plus précisément d’un argument, l’un des rares sur lequel s’accordent Platon et Thrasymaque – et cet accord en dit long sur le caractère sous-jacent, axiomatique de l’argument.
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Dans l’ombre du K., « cette cruelle absence de noblesse »

Filez directement à la citation si vous le souhaitez. Mais je veux écrire deux mots de contexte.

Chaque année, pour mon anniversaire, mon ami T1B1, qui semble voué à osciller à jamais entre l’angoisse expressionniste et l’harmonie pythagoricienne, me fait partager certains de ses choix de lectures.

Ses préférences, quand il ne s’agit pas de théories des nombres et de fraction continues – domaines dans lesquels je ne sais guère le suivre que de très loin – vont à ce que j’appellerais une littérature de la rumination – où se révèlent à travers les phrases inépuisables de longs monologues, jamais très éloignés de K., des êtres hantés – par le passé, une faute, une malédiction,, une terreur métaphysique ; si ce n’est tout cela à la fois. On trouve ainsi sur les étagères de T1B1 – et, du coup, sur les miennes, non loin d’Adorno, Benjamin, et Rosenzweig, les litanies de Sebald, Leib Rochman, et Krasznahorkai.

J’ignore si j’ai suffisamment manifesté à T1B1 la gratitude que je lui dois pour m’amener de la sorte dans ces contrées où jamais je ne mettrais les pieds de moi-même. En m’offrant La venue d’Isaïe, je me souviens qu’il m’a dit : « je pense que ce texte est à la croisée de mes préoccupations et des tiennes ».T1B1 ne s’est pas trompé.

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De La Venue d’Isaïe, une introduction au maître-ouvrage de Lazlo Krasznahorkai, Guerre et Guerre, je suis bien en peine de savoir quelle citation retenir tant ces trente pages disent TOUT de la société contemporaine. J’ai quand même décidé de m’essayer à un choix. Le voici.

« Ils avaient tout corrompu, car dès qu’ils touchaient à quelque-chose – et ils touchaient à tout -, ils le corrompaient, et cela s’était passé jusqu’à la victoire totale (…) au cours de ce long combat ils comprirent que pour remporter une victoire inconditionnelle, il ne fallait ni détruire ni bannir tout ce qui leur était opposé, mais l’absorber et le dissoudre dans la vulgarité répugnante du monde sur lequel il régnaient, ne pas détruire ni bannir pour employer un terme archaïque, le bien et la grandeur (…) mais se les approprier (…) les revendiquer (…) »

Et plus bas ceci,  : « Il suffisait de dire « bien » et « grand » pour avoir envie de vomir (…) les maîtres victorieux du monde, chaque fois que ces deux mots étaient prononcés, consolidaient un peu plus leur position, s’installaient plus solidement sur le trône du monde (…) ».

Voilà.
Bonne journée.

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Lazlo Krasznahorkai, la Venue d’Isaïe, Paris, Editions Cambourakis, 2013, 28p.
Traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly

A propos des classifications (et des cnidaires)

« La nature se délecte (…) des délimitations et des frontières ; nous vivons dans un univers structuré. Mais cet univers structuré a une histoire au cours de laquelle il a évolué : il présente donc nécessairement certaines frontières floues où les transitions sont progressives. Aussi longtemps que (…) nous ne renoncerons pas à vouloir classer toutes les choses de la nature dans des catégories bien précises et délimitées, nous serons toujours plongés dans la confusion par ces objets qui se trouvent précisément aux frontières entre les catégories ».

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Stephen Jay Gould, Le Sourire du flamand rose, Réflexions sur l’histoire naturelle, Paris, éditions du Seuil, 1988 – rééd. Coll. Points, 1993. Traduit par Dominique Teyssié avec le concours de Marcel Blanc. Cette phrase est extraite du chapitre 5, « un vrai paradoxe » sur les siphonophores – magnifique et magnifiquement illustré.

Champs de forces

Une citation croisée au détour d’un ouvrage de Denis Richet, à propos du caractère insaisissable de l’absolutisme français.

L’historien montre qu’existe sur ce sujet trois problèmes que l’on devrait à mon sens appliquer à (presque?) tout phénomène historique : un problème de définition, un problème de périodisation, mais aussi un problème de rapports entre théorie et pratique politique.
Il précise ainsi ce troisième problème:

« Ces difficultés [à cerner l’absolutisme] (…) tiennent, selon moi, au fait que trop souvent l’on néglige d’éclairer les rapports entre théorie (et par théorie, j’entends non seulement les définitions juridiques mais les justifications idéologiques et l’environnement socio-culturel) et pratique politique. Comme tout système, celui qui régit la France du XVe au XVIIIe siècle était un champ de forces mouvantes où s’interpénétraient les tendances de l’évolution économico-sociale, les courants intellectuels et religieux, les exigences de certains choix politiques. Ni une construction harmonieuse et logique, ni un magma irrationnel, mais la résultante de forces en perpétuelle mutation ».

Une grande vérité, en effet généralisable, et que perdent très rapidement de vue la plupart des analyses de la société contemporaine. A garder en tête à titre prophylactique face à tous les pondeurs de systèmes interprétatifs simplistes, une espèce ovipare invasive, présente dans toute conversation sur « la politique », et fréquente chez les historiens.

Denis Richet : La France moderne : l’esprit des institutions, Flammarion 1973 (rééd. Coll. Champs Histoire 2009).

Après nous, le déluge ?

« Dans un dialogue avec sa bienfaitrice et et disciple Sonin, Keizan, ayant fait référence à l’ordre cosmique tel qu’il apparaît au regard de la vérité conventionnelle selon laquelle les saisons se succèdent sur les branches, s’entend répondre qu’un arbre sans ombre (l’arbre dans sa réalité absolue) ne présente pas de « nœuds saisonniers ». Cette réalisation n’empêche pas les deux interlocuteurs, apparemment concernés par leur postérité, de laisser des instructions détaillées à leurs descendants ».

Bernard Faure, l’imaginaire du zen, l’univers mental d’un moine zen japonais – Paris, les Belles lettres 2011, collection Japon, 236p.

D’un végétarisme non-militant

Je range le végétarisme parmi les moyens pratiques de l’autarcie – puisqu’il est plus simple et plus économique de produire des légumes plutôt que de se procurer des protéines animales.

Cela étant, j’habite à la campagne, et mes voisins qui me battent de plusieurs longueurs en matière d’autarcie, se nourrissent en élevant et en tuant coqs, poulets et lapins.

Pour ma part, je m’en tiendrai à l’élevage de poules pour la ponte.

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Reste que végétarien, je veux rester anarque. Le militantisme n’est pas compatible avec une conception négative de la vérité. Bien que végétarien, je ne milite donc pas pour le végétarisme.
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