Bonne conscience

On croirait le narcissisme d’une reine de conte.
– Miroir, mon beau miroir, dis-moi : quel est le pays le plus civilisé de ce monde ?
– La France, ô ma Reine ; oh, pardon, la France, ô Mariane.

C’est ainsi : l’Hexagone se veut pays des Lumières et aime à dispenser au monde son cours de philosophie classique. A se gargariser d’être le pays des droits de l’homme. Quitte à exporter sa sapience, tout fraîchement acquise, dans le sang des guerres napoléoniennes. Quitte à donner des leçons à ceux qui meurent de faim – sur le travail des enfants, par exemple. Notre jingoïsme à nous ; le fardeau de l’universaliste – avec la question de savoir s’il est moins condescendant au fond et dans sa formulation que ne l’était chez Kipling celui de l’homme blanc…

Non sans, au passage, régler avec lui-même quelques comptes encombrants. Comptes dont le déballage sur la place publique en forme de rituel expiatoire – avec sa litanie des fautes, Charonne, mea culpa, Vel d’Hiv, mea culpa, colonisation, mea culpa, traite esclavagiste, mea culpa, néo-colonialisme, mea culpa, pollution, mea culpa – tient autant de la confession catholique avec absolution que de l’introspection psychanalytique pour découvrir que la faute tient aux parents.

Le divan et l’autocritique (paraît-il de gauche) auraient succédé au confessionnal (paraît-il de droite) : la belle affaire. Ils ont la même fonction narcissique et lustrale de garantir le répit de la bonne conscience ; de l’assurer de cette supériorité que confère l’analyse – moi qui suis si sage et si parfait que je connais et reconnais même mes faiblesses, elles-mêmes imputables à mes parents, eux qui ont péché. Moi qui suis si sage que je juge l’histoire, car moi-vivant-plus-jamais-ça.

Il faut être un âne bâté d’extrême droite pour qualifier pareille démarche d’auto-flagellation.

Penchons-nous y de plus près.
En fait de défilé flagellant, – sortie de latrines ou entrée au bloc ? – voici une file d’attente devant les lavabos pour un lavage de main en bonne et due forme. Ou pire : pour une dénonciation qui ne se cache même pas et revendique l’auréole. Non la République, ce n’est pas ça.

Grattons encore : chacun de ces Ponce Pilate n’est qu’un sordide pharisien. Non la République ce n’est pas ça : une déclaration en bonne et due forme d’irresponsabilité, une auto-proclamation de pureté, une justification de bonne conscience.

« A tout prix, il faut empêcher de dormir ceux qui ont trop bonne conscience de vivre et de mourir en paix »*, il faut s’y attarder.

Non, la République, ce n’est pas ça : une affirmation rigoureusement exacte, conceptuellement. Mais qui pourrait ne l’être que conceptuellement ; idéalement exacte, en fait, jusqu’à la stupidité. Ici comme ailleurs, la bonne conscience est déni de réalité, qui puise sa source à la pureté du concept, de l’idée ou de l’intention.

*
* *

* Cioran dans l’Inconvénient d’être né (Gallimard, Paris, 1973)

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s