Même pour les champignons…

Lettre ouverte à Monsieur Boutet

Cher Monsieur,

je viens de tomber sur cet article, qui raconte comment votre carte interactive des recoins à champignons se fait hacker.

Comme vous, je suis un fervent partisan du logiciel libre et du partage de connaissances.

En revanche, si je ne peux cautionner les méthodes de pirate de la personne qui sabote votre carte interactive, je voulais soumettre quelques observations à votre sagacité.

En premier lieu, je suppose que cela ne vous avait échappé, les champignons ont ceci de différent avec les logiciels qu’ils sont en nombre limité. Un logiciel peut être ce que les économistes appellent un bien public, c’est-à-dire faire l’objet d’une utilisation non-rivale et non-exclusive. Je n’approuve guère la jalousie des chercheurs de champignons – eux-mêmes bien souvent braconniers de champignons – mais cette jalousie elle-même montre que le « bien » est rival et exclusif.

Au surplus, et toujours en termes économiques, peut-on compter sur la rationalité et la vision à long terme des individus ? Toute l’économie contemporaine – la théorie des jeux, les équilibres multiples, le court-termisme des marchés financiers – montre que non. J’ignore si la faute en revient à la nature humaine ou à l’individualisme, mais force est de constater que les Français d’aujourd’hui sont plutôt enclins au jeu non-coopératif qu’au comportement inverse.

Il y a d’ailleurs fort à parier que , dans les temps qui viennent, des petits malins s’empresseront de partager sur votre carte des endroits où il n’y a jamais eu de champignons – mais où l’on trouve à foison :  orties, champignons toxiques, ronces, chenilles processionnaires, berce du Caucase et… sumac vénéneux.

 

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Mais, en second lieu, cette approche économique même me gêne – comme tout ce qui veut appliquer les règles économiques au vivant. Je ne vous l’apprendrait pas, avant d’être des aliments délicieux, les champignons sont des organismes essentiels à la biodiversité et à la santé des écosystèmes – notamment forestiers. Et les sporophores – que les gens cueillent – sont les fruits nécessaires à la reproduction du mycélium.

Or les champignons comestibles sont sur-exploités et, que les champignons soient ou non comestibles, la gestion forestière – qui ne fait pas la part belle aux buissons et au bois mort – ne va pas, aujourd’hui, dans le sens de leur multiplication. Dans la plupart des forêts, les champignons sont dévastés. D’ores et déjà, des espèces que les anciens parvenaient à ramasser y sont devenues rarissimes.

Il me semble donc qu’indiquer l’emplacement des champignons, c’est encourager le piétinement de biotopes précieux, et offrir ces derniers à la voracité et à la rapacité de certains.

Je ne dis pas que TOUS les chercheurs de champignons sont des pilleurs sans respect des écosystèmes, je dis qu’il suffit d’un seul et qu’il y en aura plus d’un. Dans ces conditions, il ne passera pas longtemps avant que votre carte des coins à champignons ne soit très rapidement une carte des coins où il il sera inutile de chercher puisqu’il ne s’y trouvera plus de champignons.

Est-il alors juste de « pénaliser » toute la communauté des mycophiles respectueux pour quelques pillards ? Oui, car ces pillards pénaliseront non seulement toute la communauté des mycophiles, mais aussi tout l’écosystème. Oui, car l’acumulation des mycophiles « respectueux » reviendra à faire de chacun d’eux un pillard.

Peut-être ne partagerez-vous pas mon « pessimisme anthropologique ». J’aimerais vous rappeler que les derniers représentants d’un certain nombre d’espèce disparues – ou aujourd’hui en voie de disparition – ont été tués par des chasseurs ou sont chassées par des chasseurs en toute connaissance de cause.

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En dernier lieu, j’aimerais poser cette question : l’invasion du téléphone mobile doit-elle aller jusqu’à la cueillette des champignons ? Le Français d’aujourd’hui n’en est pas, n’en est JAMAIS, à dépendre des champignons trouvés en forêt pour survivre. Les champignons sont un luxe. Et les trouver, la promenade en forêt qui va avec, la joie de découvrir au détour des bois un site ombragé et humide riche en champignons, a une magie qui ne peut que se perdre s’il suffit d’aller sur jesuisunminableparesseux.com pour trouver des champignons. Je n’ai pas d’insulte assez méprisante pour qualifier pareil comportement d’assisté.

Voilà. Je vous prie d’excuser cet email – qui va, je le crains s’ajouter à la pléthore des réactions débilissimes dont le net est coutumier – mais je ne peux m’empêcher de noter que cette débilité elle-même plaide dans mon sens.

C’est à vous seul qu’il appartient de reconsidérer ou non la pertinence de cette carte interactive, à mes yeux toute aussi irresponsable que les cartes interactives permettant d’informer les chauffards de l’emplacement des radars.

Bien à vous

Petit-Etre

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