Quelle fin de la souveraineté ?

La souveraineté – concept bâtard mêlant droit et puissance, hypostasié par les ordres juridiques contemporains nationaux et internationaux – n’est pas seulement récent, et perpétuellement mis à mal.

Comme trait majeur – comme définition même de l’État, au moins dans son acception unitaire – elle est supposée depuis Machiavel permettre un optimum social de second rang – l’ordre cynique mieux que le chaos guerrier auquel conduirait la poursuite d’un optimum théologico-politique de premier rang.

(Où l’on observera que, contrairement à une lecture qui n’est pas inexacte mais trop répandue, Machiavel ne fait pas table rase d’Augustin. S’il remise bien aux oubliettes l’augustinisme politique, il valide au contraire la lettre même de l’évêque d’Hippone en ne niant pas et même en théorisant le caractère inique des institutions humaines ; avec cette lucidité de placer la coprophilie au fondement de la science politique – une amertume de courtisan, fut-il courtisan d’un « magnifique » Laurent, on se marre.)

Or, rien ne dit que ce qui a pu prévaloir au temps de l’ordre westphalien vaille avec pertinence aujourd’hui. L’émergence de l’État moderne dans le paradoxe de la confessionnalisation a fait long feu, et Bertrand Badie peut à loisir noircir par millier des pages sur la vacuité de la notion de souveraineté : les preuves abondent.
Tout semble en fait indiquer que la notion demeure comme héritage fantoche tandis que la réalité du pouvoir s’est déportée – et déterritorialisée – dans les mains de quelques cent à peut-être deux-mille familles, que je tiens personnellement pour ennemis publics numéro un, puisque leur intention avouée n’est ni plus ni moins que l’asservissement de l’espèce humaine à leur seul profit.

Dans quelques cas, comme en Russie où aux États-Unis, la territorialité demeure, mais totalement inscrite dans une logique de privatisation des enjeux territoriaux – l’appropriation de la ressource énergétique n’étant que l’un des outils du système de domination aujourd’hui à l’oeuvre,  un autre de ces outils se trouvant dans les GAFA et BATX. Et dans les autres pays – où l’on s’étonne stupidement du « désaveu pour la chose publique » – les élections nationales ne sont plus guère  une bataille entre les courtisans de ces familles pour se voir accorder une couronne de fer blanc. C’est parce que le pouvoir est ailleurs que les élections ne changent rien.

Jamais la DDHC n’a été aussi vide qu’en osant aujourd’hui affirmer que la « souveraineté appartient au peuple » ; tout comme est même vide l’argumentation aujourd’hui datée des populistes stigmatisant la substitution des représentants souverains du peuple aux représentants du peuple souverain.
Puissance perpétuelle et absolue du droit gouvernement de plusieurs ménage, la souveraineté est morte et enterrée par l’ensemble des tendances contemporaines – dont la mondialisation, le capitalisme et l’individualisme.
Le pouvoir est individuel et s’exerce hors le cadre des républiques.

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Faut-il s’en réjouir ? Non.

Contrairement à ce que croient les anarchistes, sortir de la souveraineté n’est en soi ni intéressant, ni suffisant. Ce n’est intéressant que si, parallèlement, l’on parvient à sortir de la boucle du singe alpha – ou pour le dire autrement : du bégaiement historique de l’imperium.

Non, bien que la souveraineté n’ait pas résolu – elle n’a fait que maladroitement reformuler en le temporisant par le droit – le problème que pose au groupe la querelle des singes prétendument alpha. En cela, elle est pure et simple capitulation à l’histoire comme Livre des rois.

D’autres schémas existent et ont existé où le mâle « alpha » est écarté de l’exercice du pouvoir – en relève le modèle des chefferies indienne étudié par Clastres.
Le succès temporaire de l’État souverain s’est expliqué par :

  • La solution conjoncturelle qu’il a apporté à la question théologico-politique au temps de la Réforme.
  • Son inscription dans une logique de puissance permettant de coexister avec d’autres logiques de puissances – si vis pacem, para bellum : la base de l’ordre westphallien.
  • Son avantage méthodologique probable – je ne m’y suis pas penché et n’étant pas coprophile, je ne compte pas le faire – ou, si l’on veut sa rentabilité en termes de rationalisations et d’organisation de la société.

Il faut bien voir qu’une société égalitariste – dans laquelle les idées mêmes de domination, d’expansion et la volonté de puissance sont proscrites, sublimées, ou canalisées et détournées – est très certainement immanquablement vouée à la disparition au contact d’une société coercitive. La médiocratie – entendu comme la sélection par l’humanité de ses rejetons les plus putassiers – trouve là sa base historique.
L’échec actuel de L’État souverain – contenu dans l’œuf dès l’emprunt par Bodin du terme majestatem au vocabulaire de l’ordre impérial – n’est donc que la prolongation de son projet d’arbitrer hors sacré la dévolution du pouvoir entre prétendus alpha. Ceux qui, sottement, y projetaient la base d’un futur ordre « international » cosmopolitique n’y ont vu que du feu. Mais l’imperium était là dès le début, et l’État libéral et colonial, loin d’y mettre un terme a préparé l’avènement – maintenant actuel – d’un ordre certes cosmopolitique dans lequel l’État a, au sens propre, vendu sa souveraineté.

Sortir de l’État souverain ainsi, c’est en sortir par le bas : c’est-à-dire en abandonnant la modération de la domination, sa temporisation qu’impliquait l’idée originelle, finalement très hégélienne du droit (le droit comme « idée de liberté réalisée », alors que l’histoire et la pratique en ont fait l’un des cadres et des outils de la domination – y compris et notamment sous la forme de l’abus de droit et du contrat à l’américaine : pour être devenu un singe juridique, le primate a tout gardé de ses simagrées primordiales).
Tout cela s’inscrit dans le même programme ; certainement au départ inconscient et informulé ; mais dont il faut bien soupçonner que l’aboutissement commence de séduire consciemment les ennemis publics  précédemment mentionnés.

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Ce qu’il faudrait souhaiter au contraire  – un cadre fédéral anéantissant les souverainetés, doté d’un système juridique a minima dans une société re-territorialisée (en petites unité donc ) car ayant renoué avec le sacré de la physis et qui châtierait physiquement et impitoyablement le moindre début de tambourinement de poitrine ou de mammonisme chez l’un des primates de la  tribu – se trouve, dans ces conditions, relégué au niveau de l’utopie.

Il faudrait pour l’établir une conversion culturelle d’une ampleur équivalente à ce que fut la révolution néolithique.

A titre individuel, la conscience aigüe de ce qui précède ne laisse d’autre voie que le retrait.

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