Passé le cauchemar

Une habitude, lorsque d’occasion la grégarité l’emporte sur la misanthropie, de frayer dans des eaux égalitaires font que les différences d’âge ne m’effrayent pas. Mon ami P3-33 avait 90 ans passé quand le grand crabe l’a bouffé. Or-n4 va sur ses vingt ans, et je garde, dans mon travail, le souvenir de Z0-O3 jeune stagiaire de 16 ans « en observation » qui faisait aussi bien si ce n’est mieux que de prétendus professionnels approchant la trentaine.

J’ai, à ce qu’il semble, cette année gagné quelques amis ayant moins de la moitié de mon âge, et dont je confesse goûter la vivacité libre, la roborative curiosité, et jusqu’à une orientation métaphysique qui ne me paraît guère éloignée de celle que certains de nous autres, représentants de la génération X finissante, avions pu adopter à leur âge, et avons conservée.

Peut-être devrais-je m’inquiéter d’y voir une énième manifestation de mon immaturité, où d’une, selon l’affreux mot-valise consacré, adulescence persistante – celle-là même qui me fait continuer d’apprécier les mêmes musiques, de gueuler les mêmes textes, sans davantage de recul, ni plus de foi d’ailleurs, qu’à l’époque. Je n’écarte pas l’hypothèse et veux bien prendre la critique, bien que n’en percevant pas la gravité mieux que je ne vois la nécessité ou n’éprouve l’envie de changer ; paradoxe, qui sait, si la résistance au changement est signe de vieillesse, mais son élucidation m’indiffère.

Il faut dire, soit qu’ils se surveillent en ma présence, soit que leur capacité les ait déjà porté au-delà – ce que j’incline à penser – que les manifestations chez eux d’infantilisme sont rarissimes (à dire vrai, peut-être moins fréquentes que chez certains quadra bien confirmés de ma connaissance), et quasi-exclusivement le fait de « pièces rapportées ».

Et si cette – hélas probablement temporaire – proximité intellectuelle peut sans façon s’accommoder d’une jeunesse d’esprit, c’est peut-être que les préoccupations ne sont pas au fond si différentes. Passé l’âge des examens, les défis demeurent ; passé l’âge où l’on se demande quelle orientation prendre, la question de savoir ce qu’il faut faire de sa vie n’est pas davantage résolue ; et passé l’âge des devoirs à remettre, les obligations n’en sont pas levées pour autant.

En fait, la seule différence qui reste tient peut-être moins au placement des yeux qu’à la distance qui nous sépare du cœur du cauchemar dont parle le narrateur d’Arizona Dream :

« After the storm, I couldn’t say life was beautiful, but all I kept hoping for was the Eskimo boy in my dream to run out of one of these doors and hug me.
Though I no longer felt like a fish, and realized I knew nothing, I was happy to be alive…

What a wonderful fish. Yes, wonderful.
We have to catch it today. We will catch it today. Do the eyes start on either side of the head? Yes, it’s a very strange fish.
When it becomes an adult, one eye moves across, joins the other.
Why do they do that? Maybe it’s like a… A badge of maturity. They passed through the nightmare. – Nightmare? The nightmare that separates children from adults.

(…)

One eye begins to move to the other side. Then it’s better to have both eyes on the same side? – No. Different.
– What do you lose?
– Your other side. You lose something, but you also gain something. »

Oui, une affaire de distance.
Parce que, soit-il de verre ou greffé, il faut impérativement garder un œil de l’autre côté.

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Une réponse à “Passé le cauchemar

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