En finir avec le vote

L’anarque, c’est son principe même, est celui qui ne règne pas ; celui qui délibérément entend ne pas exercer de domination dans l’histoire et sur l’homme.

Cela implique de récuser également tout exercice conjoint d’une domination – toute Collaboration au sens historique et bien français qui sous-tend derrière ce mot trahison de soi et  violation des impératifs moraux – y compris dans le cadre du vote « démocratique ».

Nonobstant le malentendu qui fait oublier à l’électeur que le candidat à l’élection est par nature ennemi puisque n’aspirant jamais à le représenter comme individu mais toujours, en fait, à additionner les légitimités des voix pour se prévaloir non d’une représentation en pratique impossible mais d’un pouvoir(2),

j’y reviens(1) encore, contre deux idées, hélas émises par deux personnes que j’aime beaucoup, et qui, par l’infâme sottise de ces seules propositions, ont quelque peu chu dans mon estime.

La première de P1-3R : « la politique, si tu ne t’en occupes pas, elle finit par s’occuper de toi ».

La seconde, bellement condescendante de R3-G1 : «Tu peux toujours être contre tout, cela ne fait pas avancer les choses. Dis-toi qu’il y aura une politique et que, de toutes façons, tu seras gouverné. Il faut bien choisir quelqu’un. Et comme je suis quelqu’un de positif, je pense qu’on peut améliorer les choses. »

Derrière ces deux idées, une même surestimation de soi et de la rationalité humaine.

*
*    *

Sur-estimation d’abord de la capacité de l’individu à orienter les choses. Il y a en France 47 millions d’électeur inscrits. Cela signifie que l’électeur pèse pour un quarante-sept millionième dans une élection. Il représente un peu moins de 0.00000212766 % des voix. 10^-6 : l’ordre de grandeur est celui du nanomètre rapporté au mètre.

A ce stade, la part de l’individu dans l’élaboration du choix collectif est à peu près celle d’une molécule d’eau dans une marée – et je choisis à dessein cette image de la marée, qui a le triple avantage d’évoquer, pour moi au moins, cette analyse que fait Denis Richet de la société comme champ de forces ; de souligner la vanité de la voix isolée d’une molécule dans le maelstrom ; de déporter, enfin, la responsabilité de l’événement à un niveau très supérieur à celui de l’individu : dans mon analogie, celui de la mécanique céleste, et de la gravitation – arrêtons-là.

Parce que n’est pas moins surestimée la rationalité de l’individu, tandis qu’est inversement sous-évalué le poids de ses sur-déterminations, et le rôle de ses errances. Le partisan du vote est toujours celui d’une rationalité des choix humains, quand tout nous enseigne que ces choix ne sont pas rationnels.

A cet égard, en fait de « sens de l’histoire », l’issue d’élections, tient davantage de variations semi-erratiques de l’humeur collective, elle-même résultante stochastique d’effets de mode, de biais cognitifs agrégés, d’événements fortuits, de données conjoncturelles imprévisiblement et variablement perçues et prises en compte, du succès non-moins imprévisible des manipulations – ces « stratégies » électorales ovipardées à prix d’or par des officines spécialisées dans la vulgarité communication.

Il faudrait toujours, en lisant les analyses qui démontent les processus historiques garder en tête qu’il n’est pas si difficile a posteriori de dénicher et d’établir des relations causales ; mais que le progrès social, l’émergence de la démocratie, le basculement totalitaire ou la non-révolution allemande, que ce soit dans leur tempo ou dans leur existence, doivent sans doute moins aux potentialités livrées par ces explications qu’à leur réalisation historique par l’irrationalité humaine.

Il faut revoir à la baisse l’ambition de l’historien et réécrire Hegel car la déraison dans l’histoire se cache même derrière les progrès de l’esprit. Le quatrième temps de la dialectique, celui qu’apercevrait l’autruche philosophique, daignerait-elle sortir la tête de son trou théorique.

 

*
*   *

Post-scriptum – à propos du calcul ci-dessus : Il y a en France 47 millions d’électeurs inscrits. Cela signifie que l’électeur pèse pour un quarante-sept millionième dans une élection. Il représente un peu moins de 0.00000212766 % des voix.

Il n’y a là aucun paradoxe du système représentatif. C’est la logique même de la représentation. Plus le représentant représente d’individus, moins il représente chacun de ces individus.

Le paradoxe ne survient, dans la relation de l’individu à l’élu, que, comme dans la « constitution de 1962 », lorsque du nombre s’infère le pouvoir : un maire élu d’une commune a moins de pouvoir qu’un député, lequel, élu d’une circonscription, a moins de pouvoir qu’un président de la république, élu du pays.

En d’autres termes : l’élection au suffrage universel direct du président de la république revient pour l’individu à confier le maximum de pouvoir à l’élu dans la sélection duquel il pèse le moins.

Mais on me dit qu’il n’y a rien de pourri au Royaume du Danemark…

============
(1) j’ai évoqué ailleurs, incidemment, l’irresponsabilité fondamentale du votant.

(2) les sciences politiques gagneraient du temps à en finir avec cet oxymore hypocrite de la démocratie représentative ; mais le pire n’est peut-être pas où on le croit, et qu’il faut probablement se féliciter : « heureusement que la démocratie dite représentative ne l’est pas… »

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s