Billes d’argile…

Prétendre laisser une trace est à la fois prétentieux, vain et inutile.

Mais cela ne retire rien à la beauté des traces – des traces comme des ornières au fond desquelles flotte un reflet du « ciel antérieur » auquel renaître.

Car (et la mécompréhension de ce fait explique l’horreur que sont certains bars bobos qui ne savent qu’essayer) l’âme des lieux ne se décrète ni ne se convoque ; pas plus que l’aura de choses et des êtres. Il leur faut pour surgir la sédimentation et les heurts d’une histoire.

Bref, je suis du genre qui, contre l’enseignement du zen, s’attache à l’éphémère et croit à la beauté des traces ; à la magie d’un lacrymal, ampoule de verre irisé, ou d’une statuette d’Isis conservés dans la terre ; à préserver des relations fragiles et ténues comme des toiles d’araignées dans la  rosée du matin ; à l’âme de comptoirs qui auraient dû mettre depuis longtemps la clé sous la porte, dans le bois desquels la caresse des habitués a tant fait pénétrer la musique qu’il finit par en transpirer les images ; des boules d’argiles si fragiles et qui demeurent  – ce que je n’ai jamais mieux entendu résumer que dans les mots pourtant malhabiles de Valérie Feruglio à propos de la magie de certaines grottes ornées.

 « Toutes les grottes ornées ne sont pas l’équivalent de Lascaux ou de Chauvet, où l’on va voir cette fraîcheur incroyable des peintures ; on a l’impression que ces gens-là sont partis hier. A Lascaux, les couleurs sont très, très vives, très, très présentes encore ; il y a ces contrastes très forts. A Chauvet, on peut avoir des tracés faits au doigt dans de l’argile, et on va avoir la petite boule d’argile repoussée au bout du trait. Et cette petite boule d’argile, elle est en équilibre. On a l’impression que si on soufflait, elle tomberait. Elle est là depuis 36 000 ans. »(1)

Les attachements sont une erreur et maintiennent peut-être dans l’illusion et, toujours à terme, dans la douleur, soit. Mais je dis moi que pour ces traces, le jeu en vaut la chandelle.

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(1) Vidéo de l’université Paris I – [Devenir Archéologue] La passion du dessin et de la préhistoire (Valérie Feruglio) : https://www.youtube.com/watch?v=XFkfDnuGbG0

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2 réponses à “Billes d’argile…

  1. 1.Et cependant, Berthold n’a pas brûlé ses textes…

    2. Moins érudit, mais joli, de cette chère Ursula : « Where my guides lead me in kindness / I follow, follow lightly, / and there are no footprints / in the dust behind us ».

    3. Ne serait-ce que pour doucher l’ego, Berthold et et les akiens d’Ursula ont raison. La quasi-totalité de nos traces sont vulgaires, et si certaines échappent à cette vulgarité, nous sommes en général inaptes à les reconnaître, par manque de hauteur et de recul.
    Il n’empêche : certaines traces sont d’une beauté infinie.

    4. … bon, c’est juste une affaire de temps. Sur une période suffisamment longue, et pourtant bien courte, tout s’efface…

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