Les psy-trucs partagent avec les sociologues et les biologistes des siècles passés la passion de la taxonomie. Prenez les phobies : ils ont un nom, plus ou moins joli pour chaque phobie.
Quoique. Ont-ils un nom pour la phobie de quelqu’un qui redouterait les seules épeires mais se moquerait de croiser une tégénaire ou un faucheux des placards ?
De même, ont-ils un nom pour certaines compulsions photographiques ? Celles qui font que je continue, non que je ne peux pas m’empêcher de filmer ou photographier certains sujets, ou de chercher un appareil si, par exception, je n’en ai pas sous la main.
Le ciel, avec toutes les nuances des yeux d’une fée. Et la fascination de ses couleurs chien-loup ; l’incision de l’aube quand elle invente l’horizon dans le continuum premier des ténèbres, et que les nuages et la brume montante sont comme les bourrelets cicatriciels de la nuit. Et le dégradé parfait des crépuscules qui toujours à un moment donné, convoquent un vert incertain.
Les routes qui s’enfoncent dans le ciel ou semblent en sortir. Les ombres en haut, en bas des escaliers. Les ombres sur les murs.
Avec Codrina, nous avons un projet commun sur ce thème de l’ombre. Je ne l’oublie pas, j’espère qu’elle non plus. Il faut qu’il mature, comme une graine stratifie. Et j’ai besoin de désencombrer le chemin des travaux en cours.
Les poteaux, les pylônes, les isolateurs, les câbles.
Les couloirs, les galeries, les perspectives évidentes, vides – des puits. Les arbres ; certains arbres, plutôt. Et parfois toujours les mêmes : il y a, sur certains de mes trajets, des bosquets hypnotiques. Je les ai photographiés des centaines de fois, toujours aux mêmes heures, lorsqu’ils se révèlent.
Les feuilles, aussi.
Les reflets dans l’eau, et tout ce qui brille d’une petite flamme.
Bien sûr, certaines femmes – ma bien-aimée au premier rang.
Les spécialistes de l’esprit ont-ils un nom pour chacune de ces compulsions ? Les expliquent-ils ?
Y a-t-il un fétichisme de l’image ? Qui ferait qu’une vision vous prend aux tripes ?
Un ami, qui était idiot, et qui m’en veut encore avec quelques raisons, photographiait inlassablement les vaches. Je m’en étonnais à l’époque. Mais à présent, je pense à Hatnor, à la vache multicolore de Zarathoustra, au minotaure, au regard tendre de mes amies d’Aubrac et de Salers, et je le comprends profondément.