Eurêka… ou pas

Parmi mes lectures de l’été, Manuscrit trouvé dans une baignoire.

Hmmm. Il y a chez Thomas de Quincey, ce passage de Sortilèges et astrologie(1) où l’auteur explique avoir dans son bureau une baignoire à manuscrits…. juste avant, si je me souviens bien, l’histoire de Cochon-dans-le-valon (je n’y peux rien, Quincey non plus). Pardonnez cette entrée en matière qui n’a pas grand chose à voir avec mon collage ou avec ce qui suit mais le parallèle m’a frappé.

« La destination originelle de cette baignoire avait été détournée et je m’en servais accessoirement comme réservoir à manuscrits : emplie à ras-bord de papiers de toutes sortes et de toutes dimensions. Tout écrit de moi, à moi, pour moi, ayant rapport à moi, contre moi, enfin, peut se trouver dans ce répertoire après d’impossibles recherches ».

Bref.

Manuscrit trouvé dans une baignoire… est donc, entre l‘Idéologie Allemande, On the road et The brotherhood of the screaming abyss, une lecture estivale recommandée par mon ami T1b1, qu’il serait temps que j’appelle par son nom : kallog ; une recommandation bien de kallog : à la rencontre de ses goûts pour la SF et pour les angoisses expressionnistes kafkaïennes.

Kafkaien, le roman l’est largement. L’Édifice confine au Château. La trajectoire, au Procès. Le roman est, littéralement, un chemin qui ne mène nulle part. Une exploration de la folie collective. Un miroir.

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Bien logiquement, on y trouve notamment une excellente définition du totalitarisme… ou peut-être davantage : une remarquable perspective de politique-fiction sur l’auto-destruction qui gît en ferment dans la paranoïa totalitaire… je pense à ces quelques lignes qu’Hannah Arendt n’aurait peut-être pas reniées :

« – (…) car ici, toutes les pistes mènent partout !

— Et toi, tu comprends tout cela ?

— Je comprends pourquoi je ne comprends pas. La
trahison est inévitable, mais l’Édifice est là afin qu’elle soit
impossible ; il s’agit donc de rendre impossible l’inévitable.
Comment ? En anéantissant la vérité. La trahison n’est plus rien lorsque
la vérité se métamorphose en un ramassis de mensonges. C’est pourquoi il n’y a
point de place ici pour l’action individuelle, ni pour le désespoir conséquent,
ni pour le bon crime bien consommé qui pèserait sur toi de tout son poids et
t’entraînerait au fond. »

Toute les pistes mènent partout…
Il resterait à savoir si ce postulat parfaitement totalitaire (voir le code pénal soviétique ou, pour son application, Eguevnia Guinzbourg évoquant au détour du Ciel au dessus de la Kolyma ce qu’on lui a reproché de ne pas avoir fait) ne vaut que pour le totalitarisme.
La question de l’hyper-herméneutique et (de l’impact sur notre liberté) du sens que nous prêtons aux données sensibles, elle en tous cas, ne se limite pas au totalitarisme.
J’ai souvenir de quelques interprétations psychanalytiques d’œuvres littéraires qui ne dépareraient pas dans le passage du Manuscrit trouvé dans une baignoire sur les codes dissimulés dans les codes, dissimulés dans les codes – car tout est code. Avec une pertinence proche de ce qu’Umberto Eco moque dans le Pendule de Foucault – la possibilité de prendre n’importe quel objet trivial, fut-ce un kiosque à journaux, et d’y trouver des multiples du nombre d’or et de mesures cosmiques…
En fait, la question sous-jacente se formule ainsi : à quel point l’idée même de sens, que les choses en aient un, est-elle autre-chose que la projection de nos angoisses, l’expression d’une psychose collective ? Et, corrélat : est-on libre, psychotique ?

Mais, ce n’est pas ce qui a le plus retenu mon attention dans ce Manuscrit trouvé dans une baignoire.

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Ce qui a le plus retenu mon attention est un passage du prologue.

De fait, comme me le disait kallog, le prologue s’avère ensuite totalement hors de ce que raconte le roman ; pour la bonne raison que l’histoire racontée s’y insère et résume. En fait, à bien lire la fin de ce prologue, tout y est expliqué. Mais je suis très d’accord avec kallog que l’explication est ici moins importante que l’errance.

Pour un peu, je regretterais que ce prologue, en première approche, veuille justement reconstruire l’idée d’un sens. « Aaaaah. Tout s’explique. » Sauf qu’à bien y regarder,le prologue lui-même n’est qu’herméneutique élucubrante.

Elucubrante, en fait, peut-être parce qu’on ne sort jamais de l’élucubration ; mieux, parce que nous y pataugeons gaiement…

« Durant la seconde période, le néocredon, les croyances prirent un caractère tout à fait différent. L’élément métaphysique se fondit en quelque sorte dans le monde matériel, terrestre. Un des cultes qui dominait alors était celui de la divinité Cap-Eh-Thaal (…) Cette divinité, révérée dans toute l’Ammer-Que, s’était également répandu en Indoaustralie et dans une partie de la Péninsule Européenne. Il semble douteux que les effigies d’éléphants et d’ânes trouvées en Ammer-Que aient un rapport avec le culte de Cap-Eh-Thaal. Il était défendu de prononcer le nom même de Cap-Eh-Thaal (interdit analogue à celui des Is-Raélites) ; en Ammer-Que, cette divinité portait souvent aussi le nom de Thoo-Llar. Elle avait d’ailleurs beaucoup d’autres appellations liturgiques que des ordres spéciaux (tels les Courr-Tiers, par exemple) étaient chargés de coter au jour le jour. La fluctuation des valeurs de marché des différents noms (ou bien des propriétés ?) de la divinité Cap-Eh-Thaal demeure jusqu’ici une énigme.

Les difficultés que nous avons à comprendre l’essence de la dernière des religions préchaotiques proviennent du fait que l’on refusait à Cap-Eh-Thaal toute existence surnaturelle. Ce n’était pas un esprit, on ne le considérait pas non plus comme un être vivant (ce qui aurait expliqué les aspects totémiques de ce culte, si insolites à l’époque du développement des sciences exactes). On l’identifiait, du moins dans la pratique, aux biens meubles et immeubles. Il ne possédait aucune existence en dehors de ceux-ci. Toutefois, il semble bien qu’on lui remettait en offrande les récoltes de canne à sucre, de café et de blé ceci dans les périodes de crise économique, comme pour fléchir cette cruelle divinité. La contradiction est encore plus troublante si l’on songe qu’il existait dans le culte de Cap-Eh-Thaal des éléments de révélation ; d’après cette théorie, le monde reposait sur ce que l’on appelait la « propriété sacrée ». Toute tentative pour ébranler ce dogme était sévèrement châtiée. »

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Il y a quelque part dans l’Hypérion(3) de Dan Simmons ce propos imputé à une éditrice insupportable (qui, pour tout ce qu’elle est, mériterait une balle dans la nuque) :

« Sur l’ancienne Terre, au XXe siècle, une chaîne de restauration rapide a fait fortune rien qu’en vendant à ses clients de la vache morte frite dans la graisse, assaisonnée de produits cancérigènes et emballée dans de la mousse à base d’hydrocarbures. Neuf cent milliards d’exemplaires ont ainsi été écoulés. Allez comprendre… »

Au fait, dans Hypérion, cette éditrice discute avec un poète – non moins tête-à-claques / nuque-à-balles qu’elle – du devenir d’un manuscrit (celui-ci non sorti d’une baignoire), intitulé La terre qui meurt.

Retrait…

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(1) Thomas de Quincey Sortilège et astrologie, Gallimard, 1997, coll. le Promeneur, traduit de l’Anglais par Michèle Hechter. Titre original : Sortilege on behalf of a litterary institution, textes extraits des volumes VIII et XI des Oeuvres de Quincey publiées en 1862 à Edimbourg par Adam et Charles Black.

(2) Stanislas Lem, Manuscrit trouvé dans une baignoire, Calmann-Lévy, 1975, Traduit du Polonais par Dominique Silaavec la collaboration d’ana Labedzka, (titre original : Pamietnik znaleziony w wannie, 1961).

(3) Dan Simmons, Hypérion, T.1, Robert Laffont 1991. Traduit de l’Américain par Guy Abadia, (titre original : Hyperion, 1989).

NB : comme souvent, article dont l’essentiel a été tapé sur un téléphone mobile. Je relis et corrige, re-relis et corrige, re-corrige et relis et trouve encore des bourdes. J’implore votre clémence. Et j’en profite pour vomir la normalisation académique des langue ; invention de despote à prétention absolutiste. Mort aux petits marquis empalmés. Furetière vivra, Furetière vaincra.

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