« i said i’d write a letter, but i never got the time
and waiting for the day, i mesmerize the light »
Je me souviens de ces heures où l’on découvrait l’image comme l’on délace un corsage ; entre appel et sobriété. Là, retenir l’ombre et faire venir ici les volumes d’une image latente : rien de brutal ni de voyeur dans cette érotique de la lumière. Le temps d’un expire plein d’espoir, le Réflex ne capture encore d’ailleurs que cet instant insu, où la bascule du miroir égare l’œil dans le dédale d’un prisme obscur.
Curiosité de cette mode d’encodage binaire et de boîtes compactes : l’instant volé s’est raccourci, mais sa connaissance totale demeure, renouant avec cette autre pratique des pionniers ; lorsque cet art naissant, comme d’autres avant lui, fut mis au service des vulgarités sociales. Comme hier, de galeries de portraits en dimanches de soleil, de mariages en baptêmes, s’étalaient de longues poses savamment composées, l’image d’aujourd’hui, plus vile car jetable, est toute maîtrisée ; comme d’un bondage impudique pour un regard pornographe.
Alors, chez les plus tendres, on rhabille la victime, on la soigne. Et comment ! Courbes et niveaux, la précision devient médicale. La chambre noire s’est parsemée des écrans blafards d’un bloc aseptisé. High key dira-t-on, mais c’est le ton, la teinte de l’époque. Nous avions des émulsions, nous avons des algorithmes. Nos nuits furent de lueurs et de doutes, voici plus déchirants que des phares, des dizaines de milliers d’ISO.
Et si c’en est trop pour les cœurs sensibles, reste la construction léchée d’un monde en studio ; l’esthétique parfaite de l’iconographie commerciale. Ou pour les intellectuels, le maniérisme de l’épure, le vertige du graphisme, l’enthousiasme de la ligne ; bref, sous des airs « vintage », la passion du « design », sous une apparence fantaisiste, la rigueur du calcul binaire. Dans leur radicalité, les kodaliths de Grand Père, finalement, s’acclimatent bien sous ces latitudes.
Un réconfort au moins : pour une fois, le chiffre garde un peu du mystère.
Aussi, vaille que vaille, refaisons ce déjà vu. Et que l’aura nous pardonne cette piètre contrition, mais peut-être notre faute aurait-elle pu s’avérer pire.
Matière noire
alors, contre l’épure, on voudrait pousser plus loin, au-delà de la douleur, et pénétrer la matière jusqu’en son cœur et le sentir palpiter
comme pour surmonter l’écorchure
et, là, se pouvoir tenir
coi.
Paris 2010.
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edit de 2019 : En farfouillant à la recherche de vieilles photos, je retrouve ce texte que j’avais mis en ligne sous un titre proche sur un ancien blog que j’ai depuis longtemps suprimé, intitulé « cold lights factory ». Je le reposte parce que presque 10 ans après, j’en pense toujours chaque mot.
Si ce n’est que faute de temps, mon snobisme a évolué : à l’époque, je continuais l’argentique au reflex. Depuis que le Reflex-qui-fait-tout-pour-vous en 40 milliards de pixels est devenu un must-have de père de famille, je m’ingénie à photographier avec mon portable d’entrée de gamme. Mais au fond, tout le monde s’en fout, et c’est tant mieux…