sueño

Sans doute, mieux vaut vivre son rêve que rêver sa vie. Le productivisme et le goût de l’authenticité, deux choses dont il y aurait de quoi débattre, en tous cas le professent.

Et je sais que des foules d’arguments très forts vont dans ce sens et plaident l’escroquerie de l’artifice, le caractère à l’évidence (je ne le nie pas) pitoyable de la salle à manger d’un des Esseintes . L’idée ne date pas d’hier. Platon en était déjà tout obsédé, de cette vérité.

Seulement…. « vérité » ? ahahaha, ce mot.
Vérité, je ne sais pas…
Je voudrais, prétentieusement bien sûr, changer de point de vue et suggérer ceci : même le roi des philosophes n’est qu’un chaman, et comme tel ne s’évade qu’en rêve de sa caverne ; et ne se sert ensuite que des mots du rêve pour peindre l’Idée – son rêve de l’Idée. Pardonnez la platitude – et l’antiplatonitude – du propos – et de ce qui va suivre. Tout cela, qui m’est revenu en tête à l’occasion d’un échange avec une amie, hurle pour moi de longue date l’évidence, mais peut-être que ce ne l’est pas. Je veux en tous cas me le fixer par écrit pour pouvoir y revenir dans quelques années.

*

Il faudrait donc vivre son rêve OU rêver sa vie ? eh bien je soutiens que l’alternative est stupide, et il n’y a pas, il ne doit pas y avoir, il ne saurait y avoir à choisir.

Koân en fait de parabole du tao, le rêve du papillon ne dit autre chose que ceci :
la réalité est une escroquerie.

Sans doute, nos langages, outils mêmes du rêve (et les mathématiques n’en sont qu’un des plus purs, qui peut-être le plus échappe à nos idiosyncrasies), joints à la force empirique, comminatoire, de l’expérience nous sont un truchement pour connaître – connaître, c’est-à-dire prédire juste.

Mais nous connaissons si peu, et insérons tant nos connaissances dans l’incohérence d’une vision du monde qui n’appartient qu’à nous, que nous nous mouvons dans un rêve, dans une transe. Transe si puissante que nous y réécrivons bien volontiers l’expérience, pouvant aller jusqu’au pur déni de réalité.

Paradoxe de la réalité : nous l’osons définir comme substrat d’une expérience partagée. Mais une réalité, justement, ne se partage pas, ou généralement pas. Elle se partage, je suppose par exception, dans l’égregore et la communion. (qu’est-ce que l’égregore ? une transe commune). Mais, ce ne sont que des moments, qui, s’ils ne reposent pas sur des malentendus, ne durent généralement pas. Et passée la communion, on en revient à la bonne vieille communication, la communication inter-rêve, toujours.

Pour le dire autrement, nous communiquons précisément parce que nous ne communions pas. Et plus large la communication, plus énormes les incompréhensions. Ce pourquoi je tiens que, très généralement – non : universellement – le collectif n’est que foutaise, et appauvrissement. Alors, la politique, surtout dans la taille qu’atteignent, en nombres d’individus, les sociétés contemporaines, n’en parlons pas…. surtout qu’il y a moyen d’être plus pessimistes si l’on accepte l’idée selon laquelle l’expérience aujourd’hui la plus statistiquement commune de l’égrégore s’éprouve probablement dans ces antres ultimes de l’humaine débilité que sont les stades de football.

Mais revenons à la communication. Toute une partie de la sociabilité se joue à cela : les termes de ta transe sont-ils compatibles avec la mienne ? Attention. Plus ces termes divergent, plus l’ostracisme se rapproche, du fou, de l’hérétique, ou du génie.

Ils ont brûlé Giordano Bruno ; qu’auraient-ils fait à Einstein ? (La question est bien sûr idiote quoiqu’elle cesse peut-être de l’être si l’on se souvient de ce que les nazis auraient fait à Einstein, mais ces sujets sont autres que ce qui m’intéresse ici). Nerval était fou ; peut-être il aurait, ailleurs, autrefois, été chamane. Mais l’épanchement du rêve dans la réalité n’est au fond que la norme. En fait tout se passe comme si la réalité s’invitait ou s’incrustait avec plus ou moins de bonheur et de succès dans le rêve.

Ce qui rompt avec la norme, notre norme, dans le cas Nerval, c’est que ce rêve façonne l’expérience d’une rencontre avec l’Élohim. La folie, dans notre monde du moins, tient moins au processus qu’au contenu…

Plus intéressante me semble, une fois admise cette situation (j’allais dire ce truisme, mais je n’aime pas ce mot qui gruiiike), de savoir si l’on s’en tient aux surdéterminations du pauvre prêt-à-rêver offert sur le désormais lucratif marché des doxas, des idéologies, des cultures et des réalités ; ou si, se saisissant du rêve, ce qui est forcément effort, l’on en explore, travaille et goûte les volumes secrets et les couleurs cachées – ce que l’on pourrait appeler, pour simplifier mais cela me semble honteusement réducteur, la posture surréaliste.

C’est un choix que chacun, sauf neuroatypie douloureuse, est, à chaque moment, libre de faire ou non. Choix qu’il n’y a sans doute pas à juger chez autrui (mais on a, n’est-ce pas, ses préférences), d’autant que les rêves appauvris de la grande consommation ont pour eux la facilité, le confort et sont porteurs d’une certaine aisance sociale – ce plaisir que l’on prend au partage s’en trouve facilité.

Et pour qui s’éloigne de ces rêves-marchandises, le voyage est susceptible d’allers et de retours, mais tant qu’il se prolonge, il faut voir cette liberté, cette merveilleuse impression d’une lumière polarisée. Seulement, plus on s’éloigne, plus difficile, la communication. Plus sa possibilité se réduit à des âmes avec lesquelles existent des atomes de rêve crochus.

Si l’on me demande mon avis, cette situation à elle seule fonde la théorie mallarméenne de l’ésotérisme poétique.

*

Voilà ce que me dicte ma transe. Les lignes qui précèdent, sans nul doute sont, ici et maintenant, ma réalité.

Ce qu’il y a de fort, c’est que si vous n’êtes pas d’accord, eh bien nous n’avons pas la même réalité et cela me conforte dans ma transe, et dans son nominalisme. Et je m’en sors avec cette incohérence en pirouette : rien n’est plus inquiétant qu’une cohérence absolue.

Voilà qui tombe bien, je suis plein d’incohérence. C’est, possiblement, même la définition de je.

Bref, puisque la vie est un songe, sweet dreams.

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