Prends garde au Graal

J’ai failli titrer « métaphysique de la dérive urbaine ». Mais ça ronflait trop.

Cette idée bien ancrée qu’il faut savoir où l’on va, chercher quelque chose ; c’est au demeurant le meilleur moyen de rater ce que l’on a sous le nez.

Un peu après que Misaki lui ait expliqué « If you keep walking, you’ll find your path », elle force Satou à une promenade en ville. Extrait d’un chapitre où il est beaucoup question d’eschatologie et d’Armageddon.

The next day, Misaki and I walked through the city streets. The sky was a cloudless blue. As it was Saturday, there were a lot of people near the station, and it was all a little dizzying for me.
As promised, I’d met her at the neighborhood park at one o’clock in the afternoon, and we’d gone straight to the station. About two hours had passed, and we were still walking. We just kept walking. Although Misaki walked in front of me, ostensibly in the lead, I got the feeling that we’d been walking around and around the same roads for a while.
Still, Misaki’s footsteps remained steady.
Finally, I couldn’t take it anymore. « Um, where are we walking? »
Misaki turned around. « What? »
« I mean, what’s our destination? »
« We can’t just walk like this? »
I rolled my eyes toward the sky.
Misaki stopped and folded her arms, deep in thought. « Hm. Now that you mention it, it is kind of strange. Thinking about it more carefully, I guess most people do try to go somewhere. »

Tatsuhlko TAKIMOTO – Welcome to the N.H.K. © Tatsuhiko TAKIMOTO 2002,2005. Kadowa shoten publishing co. ltd, Tokyo, 2005. Traduit en Anglais par Lindsey Akashi – © 2007 TOKYOPOP Inc. pour la traduction anglaise

– Vous avez remarqué la couleur du ciel ?

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Dans la tête du singe

« The world is big, and chaos is the soul of violence : but humans are the monkeys who must find a pattern. If we can’t find one, we will make one. A life story is one metaphor for the pattern we find and create. You could call it a « reality map » just as easily, the picture we hold in our head of how the world works. It is the same – a picture of ourselves or the world often many steps removed from the reality ».

Sgt Rory Miller – Meditations on Violence, A Comparison of Martial Arts Training & Real World Violence, Boston (USA), YMAA Publication Center, 2008 – 203p. p.169

égoïsme ?

« Je ne me fais pas l’avocat d’une moralité fondée sur l’évolution. (…) J’insiste sur ce point parce que je risque d’être mal compris par les gens, bien trop nombreux,  qui ne peuvent faire la différence entre affirmer ce que l’on croit être  et militer pour ce qui devrait être. (…) attention, si vous voulez comme moi construire une société dans laquelle les individus coopèrent généreusement et sans égoïsme pour réaliser le bien commun,  vous ne pouvez attendre beaucoup d’aide de la Nature. »

Richard Dawkins, Le Gène égoïste, Armand colin, 1990. (Trad Laura Ovion).

 

De l’universalisme abstrait et de la précision conceptuelle

En soi, cela n’a rien d’un méfait. Et pourtant, c’en emporte tous les effets. Je parle d’un passage du livre premier de la République, et plus précisément d’un argument, l’un des rares sur lequel s’accordent Platon et Thrasymaque – et cet accord en dit long sur le caractère sous-jacent, axiomatique de l’argument.
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Dans l’ombre du K., « cette cruelle absence de noblesse »

Filez directement à la citation si vous le souhaitez. Mais je veux écrire deux mots de contexte.

Chaque année, pour mon anniversaire, mon ami T1B1, qui semble voué à osciller à jamais entre l’angoisse expressionniste et l’harmonie pythagoricienne, me fait partager certains de ses choix de lectures.

Ses préférences, quand il ne s’agit pas de théories des nombres et de fraction continues – domaines dans lesquels je ne sais guère le suivre que de très loin – vont à ce que j’appellerais une littérature de la rumination – où se révèlent à travers les phrases inépuisables de longs monologues, jamais très éloignés de K., des êtres hantés – par le passé, une faute, une malédiction,, une terreur métaphysique ; si ce n’est tout cela à la fois. On trouve ainsi sur les étagères de T1B1 – et, du coup, sur les miennes, non loin d’Adorno, Benjamin, et Rosenzweig, les litanies de Sebald, Leib Rochman, et Krasznahorkai.

J’ignore si j’ai suffisamment manifesté à T1B1 la gratitude que je lui dois pour m’amener de la sorte dans ces contrées où jamais je ne mettrais les pieds de moi-même. En m’offrant La venue d’Isaïe, je me souviens qu’il m’a dit : « je pense que ce texte est à la croisée de mes préoccupations et des tiennes ».T1B1 ne s’est pas trompé.

*
* *

De La Venue d’Isaïe, une introduction au maître-ouvrage de Lazlo Krasznahorkai, Guerre et Guerre, je suis bien en peine de savoir quelle citation retenir tant ces trente pages disent TOUT de la société contemporaine. J’ai quand même décidé de m’essayer à un choix. Le voici.

« Ils avaient tout corrompu, car dès qu’ils touchaient à quelque-chose – et ils touchaient à tout -, ils le corrompaient, et cela s’était passé jusqu’à la victoire totale (…) au cours de ce long combat ils comprirent que pour remporter une victoire inconditionnelle, il ne fallait ni détruire ni bannir tout ce qui leur était opposé, mais l’absorber et le dissoudre dans la vulgarité répugnante du monde sur lequel il régnaient, ne pas détruire ni bannir pour employer un terme archaïque, le bien et la grandeur (…) mais se les approprier (…) les revendiquer (…) »

Et plus bas ceci,  : « Il suffisait de dire « bien » et « grand » pour avoir envie de vomir (…) les maîtres victorieux du monde, chaque fois que ces deux mots étaient prononcés, consolidaient un peu plus leur position, s’installaient plus solidement sur le trône du monde (…) ».

Voilà.
Bonne journée.

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Lazlo Krasznahorkai, la Venue d’Isaïe, Paris, Editions Cambourakis, 2013, 28p.
Traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly

Responsabilités

U6-RO répète comme les indiens que toute transmission présuppose l’acceptation par le maître d’une responsabilité spirituelle qui court jusqu’à la fin du cycle des réincarnations de l’élève – des centaines de vies terrestres. Je suis sûr que c’est absolument exact.

Faut-il en être soulagé si l’élève n’écoute pas ? Ou se détourne…

Quel est le plus grand péché : D’avoir accepté l’élève ? De n’avoir su transmettre ? D’avoir transmis partiellement ?

Le maître peut-il transmettre ?  l’élève peut-il comprendre ?  Il n’y a que des malentendus qui finissent par pointer des chemins.

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*       *

Si « savoir, c’est mourir »*, l’enseignement confine au meurtre.

Très vrai. Mais si le silence aussi, que faire ?

*

*      *

Sur le chemin d’un retour, je marchais la respiration lisse, le pas régulier, heureux d’un soleil d’octobre dans les arbres verts et ocre, aspirant quelque être-là fantasmatique – mais sous mes pieds un craquement de mort : perdu dans mes pensées j’avais oublié l’escargot somnolent vu à l’aller.

Le rêveur est toujours coupable.

Shikanta za.


*Sugii Hiraku, in. Kamisama no memo-chou ep.6, « Boku wa Makesō da » – 2011 Prod. J.C.Staff.