Duende

Je n’en ai pas fini. Ni avec le mot qui me hante depuis 1995, ni avec ce titre qui est un vieux désir. Ni avec Frederico García Lorca – dont j’ai vu les vertes balustrades un soir de magie, c’était dans dans un monde révolu, portées par une voix que j’emporterai dans la tombe. Je n’en ai fini avec rien de tout ça.

« Lorsqu’il voit arriver la mort, l’ange vole en cercles lents et tisse avec des larmes de glace et de narcisses l’élégie que nous avons vu trembler entre les mains de Keats, celles de Villasandino, dans celles d’Herrera, dans celles de Becquet, et dans celles de Juan Ramón Jiménez. Mais quelle est la terreur de l’ange s’il sent une araignée, même la plus minuscule, sur son tendre pied rose !

En revanche, le duende ne vient pas s’il ne voit pas de possibilité de mort, s’il n’est pas sûr qu’elle va rôder autour de la maison, s’il n’est pas certain qu’elle va secouer ces branches que nous portons tous et que l’on ne peut pas, que l’on ne pourra jamais consoler.

Par l’idée, par le son, ou des mimiques, le duende aime à être au bord du puits dans une lutte franche avec celui qui crée. L’ange et la muse s’échappent, avec un violon ou un compas, mais le duende vous blesse, et c’est dans la guérison de cette blessure qui ne se ferme jamais que se trouve ce qu’il y a d’insolite, d’inventé dans l’œuvre d’un homme. »

Le duende, pas de problème, ça se trouve encore

Moi, c’est la muse et l’ange qui m’intéressent.
Dommage. Aux dernières nouvelles les muses sont parties avec les elfes, et il y a belle lurette que les anges font le trottoir pour se payer leur dose.
Mais renoncer n’étant pas le genre de la maison, on va continuer de chercher.

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négation, rêve, et plus si affinités

Lawrence Durrell ; peut-être mon Britannique préféré.
Son Faust irlandais est un bijou dont on pourrait extraire presque une citation par page.
Ici, en quelques lignes : la foudroyante articulation de plusieurs thèmes pour moi essentiels.

« MARGUERITE : Ainsi, d’une manière ou d’une autre, on doit se changer en réceptacle, se purifier dans les négations, jusqu’à ce que le vide dont la nature a horreur, soit comblé par cet élan qui balaie les catégories de l’esprit ? Mais ce havre de grâce, alors, ne peut être découvert que dans le rêve!
FAUSTUS : Splendide !
MARGUERITE : Oui, mais est-il possible de rêver sans changer le monde entier ?
FAUSTUS : Le monde intérieur ou le monde extérieur ?
MARGUERITE : Les deux. N’en forment-ils pas un seul ? Et là, je vous cite. »

Lawrence Durrell,Un Faust Irlandais, moralité en 9 scènes. Paris Gallimard. Trad : F.J Temple.1974

taortue

Enfin ! en réouvrant inopinément Tchouang Tseu, je retrouve enfin ce passage sur lequel je souhaitais remettre la main depuis quelques années, tout en ne sachant plus chez quel taoïste je l’avais lu.

Histoire de dire que de l’anarque au taoïste, il n’y a qu’un tout petit pas. Celui peut-être de la sagesse à « acquérir » – ce qui est mal dit, car il s’agit à l’évidence d’un renoncement… « supplémentaire ». Amusant comme notre langage peine à exprimer le dénuement.

Alors que Zhuang-zi pêchait dans la Pu, le roi du Chu lui envoya deux émissaires annoncer qu’il voulait lui donner une charge. Gardant sa ligne en main, sans même se retourner, Zhuang-zi dit : « J’ai ouï dire que le Chu possède une tortue sacrée morte il y a trois mille ans, que le roi la garde enveloppée dans une corbeille, cachée au sommet du temple des ancêtres. Cette tortue préfèrerait-elle être morte et avoir ses restes honorés, ou vivre en traînant sa queue dans la boue ? » Chacun des émissaires répondit qu’elle préfèrerait vivre et traîner sa queue dans la boue. Et Zhuang-zi dit « Partez ! Je traînerai ma queue dans la boue ».

Tchouang Tseu- traduction de Jacques Laffite – Paris, Albin Michel 1994. Chapitre XVII, la Crue d’automne.

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Les pavés de l’enfer

La différence entre anarque et certains anarchistes ?

Je crois qu’elle n’est pas mal esquissée, bien qu’en creux,et d’une façon très casuistique, dans cette bien connue citation d’Orwell…

Qui montre comment, trop souvent, derrière l’anarchisme se cache la plus minable soif de pouvoir.

« Creeds like pacifism and anarchism, which seem on the surface to imply a complete renunciation of power, rather encourage this habit of mind. For if you have embraced a creed which appears to be free from the ordinary dirtiness of politics — a creed from which you yourself cannot expect to draw any material advantage — surely that proves that you are in the right. And the more you are in the right, the more natural that everyone else should be bullied into thinking likewise… »(1)

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Musubi

« Musubi, ce mot a une signification profonde. Les cordes tissées sont musubi, les personnes connectées sont musubi ; le temps qui passe est aussi musubi. Tout cela est la puissance du dieu. Donc, les cordes tressées que nous fabriquons, sont l’art du dieu et représentent l’écoulement du temps, la façon dont elles convergent et prennent forme ; leur torsion, leur entrelacs. Parfois, elles s’effilochent puis se nouent de nouveau. C’est le nœud musubi. C’est le temps. (…) qu’il s’agisse de l’eau, du riz ou du saké, quand quelqu’un consomme une fois une chose et quand cette chose rejoint son âme, c’est encore musubi ; la présente offrande s’inscrit donc dans une coutume qui relie les gens. »*

Tout est dit.
Mais je me demande si l’on ne pourrait pas attaquer ainsi (peut-être traduire, mais mon niveau d’à peine débutant en japonais ne me permet en aucun cas de croire ou de ne pas croire que c’est ce que Makoto Shinkai avait en tête) : « ce mot désigne la signification profonde des choses ». Ce qui n’empêcherait en rien que cette signification prenne, pour nous, la forme de l’absurde.

La magie du shimenawa.

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*Makoto Shinkai, Your name, CoMix Wave Films 2016

Pense-bête & pèse-lettre

« Il n’y a pas de miracle. Il n’y a que l’inéluctable, les accidents et nos actes, c’est tout. »

Yū Kagami, Ef, A tale of Memories – Shaft / Minori 2007

« le ciel commence au ras du sol et ‘sous terre’, ça commence sous vos pieds ! Entre les deux, il n’y a que l’horizon, mon vieux, et c’est bien mince ! »

Frédéric Bézian – La chambre Nuptiale – (Adam Sarlech, T2), Paris, les Humanoïdes associés 1991

Pas dans le coup

Plus qu’une citation, un hommage. Albert, toujours remarquable. Quelques lignes avant que ne soit évoquée la mystification « qui veut nous faire croire que la politique de puissance, quelle qu’elle soit, peut nous mener à une société meilleure où la libération sociale sera enfin réalisée ».

– L’avenir est bien sombre.

– Pourquoi ? Il n’y a rien à craindre puisque désormais, nous sommes mis en règle avec le pire. Il n’y a donc plus que des raisons d’espérer et de lutter.

– Avec qui ?

– Pour la paix.

– Pacifiste inconditionnel ?

– Jusqu’à nouvel ordre, résistant inconditionnel – et à toutes les folies qu’on nous propose.

– En somme, comme on dit, vous n’êtes pas dans le coup ? Lire la suite

Prends garde au Graal

J’ai failli titrer « métaphysique de la dérive urbaine ». Mais ça ronflait trop.

Cette idée bien ancrée qu’il faut savoir où l’on va, chercher quelque chose ; c’est au demeurant le meilleur moyen de rater ce que l’on a sous le nez.

Un peu après que Misaki lui ait expliqué « If you keep walking, you’ll find your path », elle force Satou à une promenade en ville. Extrait d’un chapitre où il est beaucoup question d’eschatologie et d’Armageddon.

The next day, Misaki and I walked through the city streets. The sky was a cloudless blue. As it was Saturday, there were a lot of people near the station, and it was all a little dizzying for me.
As promised, I’d met her at the neighborhood park at one o’clock in the afternoon, and we’d gone straight to the station. About two hours had passed, and we were still walking. We just kept walking. Although Misaki walked in front of me, ostensibly in the lead, I got the feeling that we’d been walking around and around the same roads for a while.
Still, Misaki’s footsteps remained steady.
Finally, I couldn’t take it anymore. « Um, where are we walking? »
Misaki turned around. « What? »
« I mean, what’s our destination? »
« We can’t just walk like this? »
I rolled my eyes toward the sky.
Misaki stopped and folded her arms, deep in thought. « Hm. Now that you mention it, it is kind of strange. Thinking about it more carefully, I guess most people do try to go somewhere. »

Tatsuhlko TAKIMOTO – Welcome to the N.H.K. © Tatsuhiko TAKIMOTO 2002,2005. Kadowa shoten publishing co. ltd, Tokyo, 2005. Traduit en Anglais par Lindsey Akashi – © 2007 TOKYOPOP Inc. pour la traduction anglaise

– Vous avez remarqué la couleur du ciel ?

Dans la bouche de Mammon

Auditionné au Sénat le 19 janvier 2017, le Docteur Laurent Alexandre expliquait : « un robot coûte très cher alors que l’intelligence artificielle ne coûte pas cher et progresse plus vite. Les robots remplacent un métier peu qualifié alors que l’intelligence artificielle qui n’est pas basée sur des robots peut remplacer des métiers très qualifiés ».

On peut faire encore un pas vers la prochaine étape logique. Lire la suite

Carbon

C’est initialement l’avant dernière phrase de cette tirade, leitmotiv du film, qui avait retenu mon attention, tant elle me semble exacte, loin des préoccupations de ce film : politiquement exacte, dans une société amnésique où l’histoire longue pèse à plein.

En le revoyant à la recherche de la citation… exacte, je suis tombé sous le charme et la pertinence du passage entier.

« You wanna know the common element for the entire group ? (…) Carbon. In pencil led, it’s in the form of graphite and in coal, it’s all mixed up with other impurities and in the diamond it’s in hard form. Well… all we were asking was the common element (…) but thank you for all that unnecessary knowledge… ahhh, Kids! Full of useless thoughts, eh? » Thank you. Thank you.

And the book says: « We may be through with the past but the past is not through with us. »

And NO, IT IS NOT DANGEROUS TO CONFUSE CHILDREN WITH ANGELS. »

Extrait du film Magnolia. – Paul Thomas Anderson – 11/10/98 – Joanne Sellar/Ghoulardi Film Company production

PS : Il faut savoir gré à Paul Thomas Anderson d’avoir su déceler des diamants parmi la vulgarité de la mine de charbon dans la cité des anges ; et se souvenir que la datation par isotope de carbone ouvre la meilleure fenêtre qui soit sur le passé – un abîme.

Je précise malheureusement ne pas croire, contrairement à ce que ce film suggère, qu’en ce monde les salauds soient un jour rattrapés par leurs actes ; à moins que, conformément à ce que ce film suggère, cela n’arrive qu’avec la fréquence des pluies de grenouilles.

Amen.