« I’ve got the feeling, lose the spirit, let it out somehow. »
Pardon Ian ; mais depuis ton départ la température a encore perdu quelques degrés. Reste la sensation et son malaise ; et l’esprit, let it out somehow.
paradoxe d’en rangeant un samedi sans lumière retrouver les photons figés d’un sabbat enragé
photodégraphies des temps démasqués de danses autour du feu, d’un volcan, parmi les téphras,
bacchus et ménade, grisantes sorcières et gris souriciers dédiant à la terre nourricière, stabat mater dolorosa leurs chants sybillins, leurs chants d’après
aujourd’hui, je m’énerve sur man ray hier, c’était breton et demain, c’en sera un autre…
je crois bien que tous ces maîtres en vérité, ceux dont je respecte tant l’œuvre et le talent, et qui ont ouvert des chemins… je n’aurais rien eu à leur dire, pour la plupart, je les aurais giflés et pour quelques autres, les plus costauds ou les plus têtes à claques, sans hésitation, ne seraient les représailles légales, esquintés
*
et me vient l’idée d’un voyage dans le temps ; pour faire de la place sur mes étagères.
*
c’est une expérience triste hélas pas systématique mais toujours actuelle que la poésie des êtres si souvent soit l’inverse de leur valeur humaine
le matin, j’écoute ta respiration si profonde, apaisante qu’avec philosophie – pas de quoi pleurnicher ou s’apitoyer – je contemple ce gouffre qui se creuse à l’intérieur qui se creuse depuis toujours (à moins que ne s’affirme, s’affine ? juste la conscience du gouffre) que tu ne vois pas, que nul ne voit
Question : qu’y a-t-il de plus opposé au zen ? – à l’absorption, à sa leçon gnoséologique et à sa vigilance acquiesçante et quiescente de chaque milliseconde à l’impermanence ?
Non, pas la dispersion dans le mouvement, le concept et leur tragique ; aussi vaniteux et exaspérant qu’ils puissent être.
Quelque-chose de beaucoup plus vulgaire. Une dilution.
Réponse au détour d’une note d’Eisenstein.
« l’esprit petit-bourgeois, c’est l’automatisme.
Substitution du « devenir » dialectique de chaque seconde par un « être-là » statique dégénérant inévitablement en train-train quotidien. Peu importe que ce soit sur le plan idéologique, créatif ou quotidien ».
Eisenstein, folio dactylographié non daté n°2-797 – Archives centrales d’art et de littérature de Moscou. Traduction établie par François Albera dans son ouvrage Eisentsein et le constructivisme russe, Sesto San Giovanni : Editions Mimesis, 2019. 474p.
comme un écolier apprend à lire, ou peut-être plus comme il caresserait l’échine de l’ombre, el hombre suit du doigt les lignes filoutes d’encres sombres, les cuivres bouillants de l’alhambic
ivresse de l’alhcool, les mots touchent : chaleurs, parfums, un rêve d’alhambra, et remeuglent du cœuremugle des nostalgies vagabondes d’il y a si longtemps, des nuits andalouses, des nuits à la douce, des oui dans la bouche
de l’ombre
révolus. Il y a si longtemps qu’el hombre et l’ombre ne sont plus à mots touchants ; et de l’ombre rien ne sort ; elle dresse des remparts, s’étend accompagnée de gardes, garde ses distances ; c’est que l’ombre n’est pas une trace, elle ne raconte rien ; et puis c’est ainsi, nulle ombre ne s’étreint ; l’ombre est intouchable
« Comment on fait le chocolat à l’ancienne ? » demande la serveuse qui, il y a quelques instants, m’a apporté mon café. Elle travaille ici depuis deux, peut-être trois semaines. Son physique et son accent, la suggèrent d’un « pays de l’Est » – je ne saurais dire lequel, et aussi bien, je me trompe du tout au tout.
La semaine dernière je me suis déjà fait la réflexion qu’elle n’a pas l’air bien vive, mais je me suis gardé et me garderai bien de conclure sur ce point, ayant l’expérience de ma profonde idiotie lorsqu’à l’étranger, je tente de m’exprimer avec les vingt à trente mots de vocabulaire et expressions que les impératifs de survie et de politesse imposent d’apprendre.
Elle, en maîtrise plus de trente ; mais parle encore très mal le Français. En fait, elle ne comprend pas grand chose à moins que le client ne passe sa commande en parlant très lentement et en séparant bien les mots. La méthode est efficace, qui m’a permis d’obtenir mon grand crème et mon « pain chocolat ».
Mais là, il y a ce quidam, grand, mince, raide, chaussures ridiculement pointues et gueule de cadre ; monsieur veut ce chocolat chaud à l’ancienne qui figure sur la carte.
Panique.
Comment on fait un chocolat à l’ancienne ? L’autre serveuse répond en soupirant à la nouvelle-qui-ne-comprend-rien : il faut mettre le lait dans la tasse et le chauffer, et chauffer le chocolat dans un petit pot séparé.
Panique.
– Où est le chocolat ?
– Chais pas, demande à Machine.
Machine, à l’évidence, est ce qui tient lieu de chef à cette heure matinale, et n’est donc pas en salle.
Panique.
La serveuse s’éclipse en courant – les chaussures pointues s’impatientent- retour de la serveuse avec une Machine qui maugrée : « je suis sûre que les garçons en ont préparé hier… Tiens c’est là. » Et les yeux de machine lancent des éclairs : le pot en plastique de base chocolatée trône, bien en évidence, à côté du percolateur. Les chaussures pointues s’impatientent davantage.
Panique.
La serveuse bafouille une excuse à Machine qui a déjà tourné les talons en soupirant. La serveuse contemple la mixture un peu figée au fond du haut récipient translucide et cherche un outil pour l’attraper. Le renard et la cigogne, enfin, la cigogne sans le renard. Elle jette son dévolu sur une espèce de longue cuillère en inox, de celles que l’on met dans les verres de sirop, l’été. Longue, mais trop courte pour cet usage, inadaptée. En se collant du chocolat plein les doigts, elle parvient à remplir le petit pot et l’enfourne dans le micro-ondes avant de retourner en courant prendre les commandes. Panique : il est 7h50, c’est la queue pour les croissants et les cafés à emporter.
Les chaussures pointues trépignent, mais il me semble que deux ou trois bonnes minutes passent. Le micro-ondes tourne et vrombit toujours. Je pense : ohlàlà. Les chaussures pointues tonitruent : « excusez-moi, mais vous n’auriez pas oublié mon chocolat ? » Si j’étais à leur place, j’en ferais sûrement autant.
Panique.
La serveuse revient. On dirait qu’il y a eu dans le four une explosion de chocolat à l’ancienne. Elle soupire, veut faire vite, attrape la tasse, la lâche brutalement. Maintenant, il y a même du chocolat hors du four. Elle attrape un torchon essuie le pot et remet du chocolat dedans. Les chaussures pointues sont hors d’elles ; pas grave : cette fois, plus de panique, la serveuse repasse le lait au bec de vapeur pendant que le chocolat chauffe, récupère le tout sur un plateau et l’apporte avec un « désolée pour l’attente » aux chaussures pointues qui, du haut de leur mètre quatre vingt dix la toisent exactement comme il convient de toiser la dernière-des-dernières-connes-de-la-création. Ce type m’insupporte même si je sais parfaitement qu’à sa place, une nouvelle fois, j’en ferais probablement autant. Lire la suite →
« i said i’d write a letter, but i never got the time and waiting for the day, i mesmerize the light »
Je me souviens de ces heures où l’on découvrait l’image comme l’on délace un corsage ; entre appel et sobriété. Là, retenir l’ombre et faire venir ici les volumes d’une image latente : rien de brutal ni de voyeur dans cette érotique de la lumière. Le temps d’un expire plein d’espoir, le Réflex ne capture encore d’ailleurs que cet instant insu, où la bascule du miroir égare l’œil dans le dédale d’un prisme obscur.
Curiosité de cette mode d’encodage binaire et de boîtes compactes : l’instant volé s’est raccourci, mais sa connaissance totale demeure, renouant avec cette autre pratique des pionniers ; lorsque cet art naissant, comme d’autres avant lui, fut mis au service des vulgarités sociales. Comme hier, de galeries de portraits en dimanches de soleil, de mariages en baptêmes, s’étalaient de longues poses savamment composées, l’image d’aujourd’hui, plus vile car jetable, est toute maîtrisée ; comme d’un bondage impudique pour un regard pornographe.
Alors, chez les plus tendres, on rhabille la victime, on la soigne. Et comment ! Courbes et niveaux, la précision devient médicale. La chambre noire s’est parsemée des écrans blafards d’un bloc aseptisé. High key dira-t-on, mais c’est le ton, la teinte de l’époque. Nous avions des émulsions, nous avons des algorithmes. Nos nuits furent de lueurs et de doutes, voici plus déchirants que des phares, des dizaines de milliers d’ISO.
Et si c’en est trop pour les cœurs sensibles, reste la construction léchée d’un monde en studio ; l’esthétique parfaite de l’iconographie commerciale. Ou pour les intellectuels, le maniérisme de l’épure, le vertige du graphisme, l’enthousiasme de la ligne ; bref, sous des airs « vintage », la passion du « design », sous une apparence fantaisiste, la rigueur du calcul binaire. Dans leur radicalité, les kodaliths de Grand Père, finalement, s’acclimatent bien sous ces latitudes.
Un réconfort au moins : pour une fois, le chiffre garde un peu du mystère.
Aussi, vaille que vaille, refaisons ce déjà vu. Et que l’aura nous pardonne cette piètre contrition, mais peut-être notre faute aurait-elle pu s’avérer pire.
Matière noire
alors, contre l’épure, on voudrait pousser plus loin, au-delà de la douleur, et pénétrer la matière jusqu’en son cœur et le sentir palpiter
comme pour surmonter l’écorchure
et, là, se pouvoir tenir
coi.
Paris 2010.
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edit de 2019 : En farfouillant à la recherche de vieilles photos, je retrouve ce texte que j’avais mis en ligne sous un titre proche sur un ancien blog que j’ai depuis longtemps suprimé, intitulé « cold lights factory ». Je le reposte parce que presque 10 ans après, j’en pense toujours chaque mot.
Si ce n’est que faute de temps, mon snobisme a évolué : à l’époque, je continuais l’argentique au reflex. Depuis que le Reflex-qui-fait-tout-pour-vous en 40 milliards de pixels est devenu un must-have de père de famille, je m’ingénie à photographier avec mon portable d’entrée de gamme. Mais au fond, tout le monde s’en fout, et c’est tant mieux…
… lettres de feu et croche-vipère, en passant, une fantaisie que l’on voudrait, que l’on hexpère et dépoussiérée et frise-sorcière, un peu enlevée, grise-souricière : entre abandon et abaddon, œil belladonne ou regard charbon ?
des yeux par dizaines, il y en a plein les bocaux, qui courent bien vite sur les morts, qui courent si vite sur les mots
– des araignées ternes aux pattes ciliées, araignyeux impudiques bien trop maquillés, ces yeux-narcisses gloussent sur les charniers… et qui donc est dupe ? ne veulent qu’une chose : être regardés comme un drogué veut sa dose – bof
Parmi mes lectures de l’été, Manuscrit trouvé dans une baignoire.
Hmmm. Il y a chez Thomas de Quincey, ce passage de Sortilèges et astrologie(1) où l’auteur explique avoir dans son bureau une baignoire à manuscrits…. juste avant, si je me souviens bien, l’histoire de Cochon-dans-le-valon (je n’y peux rien, Quincey non plus). Pardonnez cette entrée en matière qui n’a pas grand chose à voir avec mon collage ou avec ce qui suit mais le parallèle m’a frappé.
« La destination originelle de cette baignoire avait été détournée et je m’en servais accessoirement comme réservoir à manuscrits : emplie à ras-bord de papiers de toutes sortes et de toutes dimensions. Tout écrit de moi, à moi, pour moi, ayant rapport à moi, contre moi, enfin, peut se trouver dans ce répertoire après d’impossibles recherches ».