Carbon

C’est initialement l’avant dernière phrase de cette tirade, leitmotiv du film, qui avait retenu mon attention, tant elle me semble exacte, loin des préoccupations de ce film : politiquement exacte, dans une société amnésique où l’histoire longue pèse à plein.

En le revoyant à la recherche de la citation… exacte, je suis tombé sous le charme et la pertinence du passage entier.

« You wanna know the common element for the entire group ? (…) Carbon. In pencil led, it’s in the form of graphite and in coal, it’s all mixed up with other impurities and in the diamond it’s in hard form. Well… all we were asking was the common element (…) but thank you for all that unnecessary knowledge… ahhh, Kids! Full of useless thoughts, eh? » Thank you. Thank you.

And the book says: « We may be through with the past but the past is not through with us. »

And NO, IT IS NOT DANGEROUS TO CONFUSE CHILDREN WITH ANGELS. »

Extrait du film Magnolia. – Paul Thomas Anderson – 11/10/98 – Joanne Sellar/Ghoulardi Film Company production

PS : Il faut savoir gré à Paul Thomas Anderson d’avoir su déceler des diamants parmi la vulgarité de la mine de charbon dans la cité des anges ; et se souvenir que la datation par isotope de carbone ouvre la meilleure fenêtre qui soit sur le passé – un abîme.

Je précise malheureusement ne pas croire, contrairement à ce que ce film suggère, qu’en ce monde les salauds soient un jour rattrapés par leurs actes ; à moins que, conformément à ce que ce film suggère, cela n’arrive qu’avec la fréquence des pluies de grenouilles.

Amen.

Publicité

Que faire du politicard ?

Parce que son sujet fait l’anthropologie une sous-discipline fortement vulgaire de la primatologie, il faut lire et relire Frans de Waal. Chacun pourra constater qu’on ne trouve sous sa plume rien qui puisse justifie son optimisme un peu niaiseux quant aux vertus morales du sapiens sapiens.

On y apprend en revanche que dans le parc de Masai mara au Kenya…

« Une troupe de mâles qu’étudiait Robert Sapolsky (….) traversait tous les jours le territoire d’un autre groupe pour accéder à une décharge située près d’un gîte pour touristes. Seuls les mâles les plus puissants et les plus méchants parvenaient à bon port. Cette manne valait indiscutablement la peine d’en découdre, jusqu’au jour où le gîte jeta de la viande infectée de tuberculose bovine, qui décima tous les babouins qui en consommèrent. La troupe qu’on étudiait (…) devint du jour au lendemain une oasis inattendue de paix et d’harmonie dans le monde impitoyable des babouins (…) ce modèle persista pendant une dizaine d’année alors qu’il ne restait aucun mâle du groupe d’origine ».

Frans de Waal, Le singe en nous, Paris, Librairie Arrthème Fayard, 2006. Réed. Coll. Pluriel 2011, 323p. (p.189) Trad. Marie-France Paloméra

La conclusion s’impose d’elle même. L’élimination physique du singe qui prétend être roi est garante de paix et de sérénité. Reste à en tirer les conséquences : où réside exactement le problème moral ? Dans l’élimination physique systématique de ceux qui prétendent régner ? Ou dans le fait de les laisser faire ?
A défaut, l’émasculation serait un premier pas vers la sagesse – à court terme, une certitude de tranquilité, et à long terme, peut-être le moyen d’un eugénisme pacificateur…

Crucifier Narcisse

Le Prince de Machiavel ne l’emporte que si on le laisse faire au-lieu de le traiter comme il se devrait. Je relève chez Frans de Waal :

« Dans les sociétés égalitaires, les hommes qui essaient de dominer les autres se heurtent à un travail de sape systématique, et la fierté masculine s’attire la réprobation. (…) De même le candidat au rôle de chef qui croira pouvoir dicter aux autres ce qu’il doivent faire s’entendra dire sans ambages que ses grands airs sont à se tordre de rire. L’anthropologue Christophe Boehm a étudié ces mécanismes de nivellement. Il a découvert que les chefs qui devenaient tyranniques, pratiquaient l’autoglorification, ne redistribuaient pas les biens et négociaient avec les gens de l’extérieur à leur propre avantage perdaient le respect et le soutien de leur communauté. Si les tactiques habituelles – la raillerie, les commérages et la désobéissance- échouent, les égalitaristes ne répugnent pas à prendre des mesures extrêmes. »



Frans de Waal, Le singe en nous, Paris, Librairie Arrthème Fayard, 2006. Réed. Coll. Pluriel 2011, 323p. (p.97-98) Trad. Marie-France Paloméra

 

 

A faire : se procurer les publications de Christophe Boehm.

Champs de forces

Une citation croisée au détour d’un ouvrage de Denis Richet, à propos du caractère insaisissable de l’absolutisme français.

L’historien montre qu’existe sur ce sujet trois problèmes que l’on devrait à mon sens appliquer à (presque?) tout phénomène historique : un problème de définition, un problème de périodisation, mais aussi un problème de rapports entre théorie et pratique politique.
Il précise ainsi ce troisième problème:

« Ces difficultés [à cerner l’absolutisme] (…) tiennent, selon moi, au fait que trop souvent l’on néglige d’éclairer les rapports entre théorie (et par théorie, j’entends non seulement les définitions juridiques mais les justifications idéologiques et l’environnement socio-culturel) et pratique politique. Comme tout système, celui qui régit la France du XVe au XVIIIe siècle était un champ de forces mouvantes où s’interpénétraient les tendances de l’évolution économico-sociale, les courants intellectuels et religieux, les exigences de certains choix politiques. Ni une construction harmonieuse et logique, ni un magma irrationnel, mais la résultante de forces en perpétuelle mutation ».

Une grande vérité, en effet généralisable, et que perdent très rapidement de vue la plupart des analyses de la société contemporaine. A garder en tête à titre prophylactique face à tous les pondeurs de systèmes interprétatifs simplistes, une espèce ovipare invasive, présente dans toute conversation sur « la politique », et fréquente chez les historiens.

Denis Richet : La France moderne : l’esprit des institutions, Flammarion 1973 (rééd. Coll. Champs Histoire 2009).