engouffrance

chautauqua du matin

le matin, j’écoute ta respiration
si profonde, apaisante
qu’avec philosophie
– pas de quoi pleurnicher ou s’apitoyer –
je contemple ce gouffre
qui se creuse à l’intérieur
qui se creuse depuis toujours
(à moins que ne s’affirme, s’affine ? juste la conscience du gouffre)
que tu ne vois pas, que nul ne voit

je ne crois pas qu’il ait un fond
ni qu’il débouche sur quoique ce soit
mais il grandit, s’élargit
bientôt je pense qu’il effleurera ma peau, qu’il viendra affleurer
et je serais plus que l’humaine  coquille d’un gouffre
mais personne ne le verra
jusqu’à du moins ce que se fendille la coquille

peut-être alors certains se diront : tiens, il est un peu fêlé
et puis ils passeront à autre chose, parce que c’est ce que font les gens
et honnêtement, c’est très bien ainsi
oh, que je détesterais en avoir qui viendraient s’asseoir
jambes pendantes au bord de mon gouffre intime
deviser de pluie, de beau temps, de politique,
en mangeant leur banane, pour, pire, en jeter la peau
qui resterait à tomber, là, dans le vide

parce que c’est ce que font les gens,
et ça, le jet de cette peau de banane pourrait bien
me donner envie de les pousser
de les regarder tomber en hurlant,
parce que c’est ce que font les gens,
la plupart hurlent en tombant ;

ou de les peler comme des bananes
et de jeter leur peau dans le gouffre
puis de les renvoyer, d’un coup de pied aux fesses, dans le monde, écorchés,
ce qui ressemblerait beaucoup à une deuxième naissance,
parce que c’est ce que font les humains quand ils naissent :
être jetés écorchés dans ce monde ;

il y a ceux qui en prennent leur parti et cicatrisent
et ceux qui ne cicatrisent jamais et geignent toute leur vie
et puis, bien sûr, les nombreux dont je suis qui ne veulent pas guérir
et se marrent en adressant chaque matin au ciel et à leurs congénères,
les sanguinolents pitoyables
et les bourgeois tout boursouflés de tissus cicatriciels,
un majeur levé bien haut,
à défaut de pouvoir les balancer dans le vide…

je dis ça, mais je n’ai jamais poussé personne dans mon gouffre.
je vis avec, au bord, comme un oiseau, un oisillon, je ne sais, dans mon nid
– mon  nid d’aigle même si, comme tous les hommes, je ne suis
qu’une mésange, un engoule-vent, un dégueule-vide,
et scribouillard en plus –
mon nid, mon château à flanc d’abîme
(aurait dit cet abruti bourgeois narcissique, dictatorial et prétentieux de Breton, que j’aurais bien roué de coups, tout poète de génie qu’il ait été,
une raclée éducative comme dit Rory,
lui écrabouiller la bouille et lui casser quelques côtes)

mon château à flanc d’abîme d’où je regarde les étoiles
et dont je regarde rouler les pierres
une à une,
deux à deux,
et puis un de ces quatre, la coquille, le château
tout ça foutra le camp dans le gouffre sans laisser de traces ;

la seule chose, c’est cela : éviter de laisser trop de traces, de morceaux d’abime…
oh, je sais, c’est un peu cela, les mots, des morceaux d’abîme :
les mots, les morts, du pareil au même, l’r de rien
– des traces, des vides qui restent un temps,
et qui s’effacent, heureusement,
qu’on oublie

ses amours, on s’en souvient, le reste, on l’oublie
même les poèmes, on les oublie
les chiens vaniteux, les Breton, les Staline, on les oublie,
parce que c’est ce que font les gens :
tôt ou tard, ils oublient,
et que ça leur plaise ou pas, on les oublie
et c’est très bien ainsi…



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2 réponses à “engouffrance

  1. Oh, Anne, votre vision de voyante sauve tout,
    mais je n’ai guère de doute : ce qui ressortde moi dans certaines des choses que je pose ici n’est ni si poétique ni si apaisant que drogue d’Hélène et fleurs magiciennes !!

    J’aime

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